Quand la dopamine nous trompe, comment s’en sortir?

Imagine que tu viens de terminer quelque chose d’important. Un accomplissement, une épreuve, une présentation stratégique hyper importante à ton équipe. Tu as coché toutes les cases plutôt mieux que bien.
Tu t’attends à ressentir de la joie, du soulagement, de la reconnaissance,… Mais ce que tu ressens, c’est un creux. Un vide. Une forme d’inconfort, de fatigue écrasante. Et pourtant, le plaisir n’est pas au rendez-vous. 

C’est déroutant.

Je me souviens avoir vécu exactement ça quand j’ai lancé ma plateforme de formation en ligne edu.dominique-ara.com. Un projet titanesque qui m’a obligé à dépasser mes limites, et à apprendre à gérer des consoles techniques que je n’avais jamais vues de ma vie, à faire des montages en voyant encore et encore des défauts que je ne pouvais plus corriger.

Lorsque j’ai mis en ligne les cours, j’ai bien senti un moment de libération.

Pas longtemps.

Le contrecoup a été à la hauteur des mes efforts investis. Une vraie tornade émotionnelle. J’ai même eu un doute existentiel : « Mais je suis malade en faitEst-ce que je déprime ? Pourquoi je ne suis pas contente? Il y a un truc qui ne va pas chez moi, je ne suis JAMAIS contente!… Je devrais peut-être arrêter tout ça, à quoi ça rime?

Chez des femmes brillantes que j’accompagne, j’ai été témoins de scénarios similaires : Par exemple
Katia s’est dépassée pour une foire commerciale, trouvant des solutions malgré les réductions de budgets. L’événement est un succès. Mais elle se sent déçue, et va jusqu’à penser que ses chefs « la baratine » avec leur « its amaizing what you have accomplished! » Elle n’en croit pas un mot.

Ce phénomène de montée – descente n’est pas une anomalie psychologique. C’est une loi biologique en lien avec la quantité de production de dopamine.

On pense souvent que la dopamine est l’hormone du plaisir. C’est faux.
La dopamine est l’hormone de l’anticipation.
Elle monte avant le résultat. Elle nous propulse, crée l’élan, la motivation, l’euphorie de « ça va marcher »”.

Mais une fois l’objectif atteint ? Si le réel ne correspond pas à la projection… la dopamine chute.
Et parfois, elle tombe plus bas qu’au départ.

Le neuroscientifique Wolfram Schultz l’a montré clairement : les neurones dopaminergiques réagissent à l’écart entre la récompense attendue et la récompense réelle. Pas assez de retour → chute brutale du signal. Même en cas de succès.

Et ce n’est pas tout : Selon les chercheurs Berridge et Robinson, la dopamine n’est pas liée au plaisir (liking), mais au désir anticipatoire (wanting). Autrement dit : tu ne ressens plus de joie après parce que ton système l’a consommée avant. What ?!

Plus on attend, plus on chute

Plus on projette dans une action :

– de reconnaissance,
– d’estime,
– de soulagement,
– de visibilité,

…. plus la désillusion peut être grande.

Et cette désillusion n’a rien à voir avec les résultats objectifs.
C’est une trappe émotionnelle. Invisible. Mais redoutablement efficace.

Parce que tu fais tout “comme il faut”. Tu anticipes, tu cadres, tu t’impliques. Tu ne comptes ni tes heures, ni tes idées, ni ton cœur.

Mais dans un environnement flou où les succès sont absorbés, normalisés, peu célébrés, tu ne reçois aucun signal clair de victoire. Ton cerveau attend un shoot qui ne vient pas. Le psychiatre et chercheur Judson Brewer parle même de manque affectif post-réussite : on devient dépendant aux micro-récompenses (likes, mails, feedbacks), et quand elles n’arrivent pas… le vide s’installe.

Et alors, ce n’est pas seulement la motivation qui s’effondre. C’est la confiance en ton propre moteur qui crashe! Il y a quelque chose de profondément déstabilisant à ne pas ressentir ce qu’on pensait avoir mérité. La joie ne s’impose pas. Le soulagement n’arrive pas. Et tu te demandes si tu n’es pas devenue insensible, cynique… ou cassée.

Eh bien non.

Je le répète car j’ai peur que tu n’aies pas vraiment enregistré ce que j’ai écrit plus haut : ce que tu ressens est le résultat d’un fonctionnement chimique, qui ne tient aucun compte de ta générosité ni de ton intégrité. Et c’est là que commence le vrai leadership émotionnel.

Le secret consiste à revenir à une  écologie plus fine de tes attentes ! ( je trouve l’expression super pertinente !)

Ce que cela implique ?

  • Mettre de l’énergie sans en exiger un retour immédiat.
  • Te donner sans te faire avaler.
  • Rester lucide sans devenir cynique.
  • Savourer pendant, et pas uniquement après.

Le psychologue Mihaly Csikszentmihalyi, auteur du concept de flow, a montré que le bonheur durable vient souvent de l’expérience elle-même, pas de sa reconnaissance. Calibrer ses attentes, c’est une forme d’élégance intérieure. La posture de celles qui veulent durer et pas seulement briller.

Quand la dopamine te trahit, ce n’est pas que tu as trop rêvé. C’est que tu as confondu intensité et vérité. Tu peux apprendre à choisir comment tu t’élances. Et comment tu atterris.

Avant de te lancer

Avant de t’élancer dans l’action qui va exiger un gros investissement energétique, cognitif et physique, pose par ecrit la réponse à ces questions et calibre tes attentes:

  • Au fond de moi qu’est ce que j’attends vraiement une fois le travail livré?
  • Je le fais pour la recompense et la renommée? Pour revevoir des lauriers et de la reconnaissance? Une médaille? (motivation extrinsèue)
  • Je le fais pour progresser, sortir de ma zone de confort avec curiosité et observer comment ça se passe? ( motivation intrinsèque) en me donnant certaines permissions.

Après avoir terminé

Trois pistes à tester dans les jours avant et ceux qui suivent la fin de ton accomplissement:

  • Te réjouir déjà du chemin parcouru pendant l’action, même si ce n’est pas complètement fini.
  • Ralentir et encore ralentir juste après ce pic de performance. Ne pas chercher à « enchaîner » avec un autre projet ( histoire de cycle, voir mon article sur l’abondance)
  • Varier les sources de petites joies intrinsèques (qui viennent de toi) : mouvement, création libre, silence, sommeil, nature, etc.

Ces actions regulent la dopamine pour la subtiliser à la sérotonine l’hormone de satisfaction durable.

La prochaine fois, quand tu te sentiras  un peu down après une réalisation,  rappelle-toi que c’est la chimie qui te joue un tour, et que tu mérites de te célébrer pour le travail accompli. 

Et pour clore cet article, sache que ça va t’arriver à nouveau car on n’échappe pas à sa biochimie. Mais on peut le conscientiser pour ne pas en être une victime passive. Alors quel premier pas vas-tu faire la prochaine fois que tu sens de la déception, au lieu de la joie après un accomplissement ?  

  

Pour en savoir plus sur le dopamine – motivation – accompissement et ses impacts

  • Schultz, W. (1998). Predictive reward signal of dopamine neurons. Journal of Neurophysiology, 80 (1), 1–27. DOI:10.1152/jn.1998.80.1.1 journals.physiology.orgPubMedResearchGate
  • Schultz, W. (2016). Dopamine reward prediction error coding. Dialogues in Clinical Neuroscience, 18 (1), 23–32. DOI:10.31887/DCNS.2016.18.1/wschultz PubMed
  • Berridge, K. C., & Robinson, T. E. (1998). What is the role of dopamine in reward: hedonic impact, reward learning, or incentive salience? Brain Research Reviews, 28 (3), 309–369. sciencedirect.comPMCPubMedResearch Communities by Springer Nature
  • Robinson, T. E., & Berridge, K. C. (2008). The incentive‐sensitization theory of addiction: some current issues. Philosophical Transactions of the Royal Society B: Biological Sciences, 363(1507), 3137–3146. DOI:10.1098/rstb.2008.0093 ResearchGate
  • Brewer, J. A. (2011). Meditation experience is associated with differences in default mode network activity and connectivity. Proceedings of the National Academy of Sciences, 108 (50), 20254–20259. (sur les boucles de craving et l’addiction au feedback) elifesciences.org
  • Csikszentmihalyi, M. (1990). Flow: The Psychology of Optimal Experience. Harper & Row.
    Huberman, A. (2021, octobre 4). Understanding and Controlling Dopamine for Motivation, Focus & Satisfaction [Podcast episode]. Huberman Lab. https://hubermanlab.com/understanding-and-controlling-dopamine/